La périodisation

Jacques Le Goff, célèbre médiéviste, s'interroge sur la périodisation, dans son livre : Faut-il vraiment découper l'Histoire en tranches ? publié en 2014.

La périodisation, c'est diviser le temps en blocs, en époques et donner un sens particulier à ces époques.

L'Histoire vient du mot grec ἱστορία (historia) qui signifie « enquête, compte-rendu, histoire ». On la fait débuter en -3500, puisqu'avant l'écriture, il n'y a pas sources écrites. En France, nos conventions sont les suivantes :

  • Antiquité : de -3500, invention de l'écriture à 476, chute de l'Empire Romain d'Occident
  • Moyen Âge : de 476 à 1492, découverte de l'Amérique par Christophe Colomb
  • Temps Modernes : de 1492 à 1789, Révolution Française
  • Époque Contemporaine : à partir de 1789.

Selon le propose de Le Goff, la périodisation telle que nous l'apprenons et enseignons est bien commode pour comprendre les transformations de nos sociétés occidentales, mais elle induit potentiellement en erreur, car elle ne s'applique pas au monde entier. Les dates de césure sont par ailleurs arbitraires et renvoient une interprétation particulière de notre Histoire.

#1. Différentes conceptions du temps

Chaque civilisation a sa conception du temps : si nous utilisons une conception linéaire, qui va du passé au futur, d'autres civilisations conçoivent le monde et le temps d'une autre manière. Ils peuvent par exemple concevoir le temps comme un cycle : le temps est un cercle, si bien que les événements se reproduisent. C'est une conception qui existe toujours dans l'hindouisme et le bouddhisme par exemple.

Au cœur de notre conception du temps, il existe aussi une certaine idée de progrès, particulièrement visible en histoire des sciences. Imaginons cependant l'inverse, que tout tend vers le déclin. Nous irions d'un âge d'or vers la chute, la déchéance. Cette conception décliniste existe aussi bien chez les romantiques du XIXe siècle que chez des penseurs contemporains, qui pensent que tout ira nécessairement plus mal, que l'âge d'or est derrière nous, que les grands empires se disloquent irrémédiablement.

Ainsi, les conventions de notre périodisation en quatre grandes périodes (Antiquité, Moyen Âge, Temps Modernes, Époque contemporaine) excluent d'emblée certaines conceptions du temps et ne sont pas nécessairement tout à fait valides pour comprendre le monde dans sa diversité. Ces conventions sont européocentriques.

#2. L'arbitraire de l'an 0

Comme on l'a vu, les religions ont tant d'importance qu'elles inspirent les périodisations. Ainsi, si le Christ est censé être né en l'an 0, en Islam le commencement est lié à l'exil du prophète Mahomet : c'est l'Hégire en 622. L'année de naissance du Christ est par ailleurs discutée : les chercheurs s'accordent pour dire qu'il serait né entre -7 et -5.

De la même façon, différentes idéologies ou systèmes de pensée ont créé leur propre calendrier. Ainsi les révolutionnaires créent-ils le calendrier Républicain, qui débute avec la création de la Ière République en 1792. Il s'agissait, pour les révolutionnaires, de déchristianiser le temps.

On le voit bien, les repères varient et sont d'origine pratique, idéologique et religieuse.

#3. Découpages numériques et interprétations historiques

Communément, nous découpons le temps en valeurs numériques. Ainsi, une décennie équivaut à dix ans ; un siècle, à cent ans ; un millénaire, à mille ans. Mais ce découpage dépend aussi à notre propre système numérique. Il est tout à fait différent, par exemple en Chine où le calendrier traditionnel est un calendrier lunaire. La date du nouvel an chinois varie donc d'une année à l'autre.

Les historiens définissent aussi des périodes courtes, des chrononymes. On nomme des années, des décennies, en fonction de la lecture historique que l'on a des événements. Le « siècle de Périclès », en Grèce Antique, ne fait pas strictement cent ans (de -479 à -429), mais met l'accent sur l'importance de la figure de Périclès dans le développement de la démocratie athénienne avant les guerres du Péloponnèse. « L'âge d'or culturel » correspond, en Allemagne, à une période d'essor économique et de foisonnement culturel entre 1924 et 1929.

#4. Critiquer et redonner du sens

On l'a dit plus haut, les découpages sont arbitraires. En découpant et en nommant, on politise l'Histoire. L'enseignement et l'apprentissage de ces césures historiques présente un but, qui varie d'un État à l'autre.

Jack Goody, dans Le vol de l'Histoire, écrit :

Depuis le début du XIXe siècle, suite à la présence que lui ont assuré, dans le reste du monde, son expansion coloniale et sa Révolution industrielle, l'Europe a la mainmise sur la construction de l’histoire mondiale.

Il est donc nécessaire de critiquer cette périodisation pour sortir de l'ethnocentrisme. Ainsi, pour bon nombre de pays qui avaient subi la colonisation, c'est la date de décolonisation qui ferait davantage sens en matière de transformation profonde justifiant une césure historique. Pour l’Île Maurice, l'an 0 devrait-il être 1968 ? Vu l'ancrage des multiples religions, c'est évidemment discutable.

D'autre part, comme nous le rappelle l'historien Jacques Le Goff, il y a une possible négation des continuités historiques dans la périodisation. En tant que médiéviste, il parle de continuité du Moyen Âge jusqu'au XVIIIe siècle, censé appartenir aux Temps Modernes, parce que la découverte des Amériques ne marque pas de changement profond des structures économiques.

De la même façon, nous sommes dans l'Époque Contemporaine, et pourtant rien ne nous semble commun entre notre vie et celle des gens en 1789.

#Conclusion

La périodisation est commode et correspond à des visions culturelles, idéologiques et religieuses. Ces périodisations sont extrêmement variées dans le monde, et notre propre périodisation est sujette à discussion, parce qu'elle renvoie à des objectifs politiques et des objectifs d'enseignement. La volonté de l'appliquer, ici ou là, hors du territoire français, peut être considéré comme le reliquat d'un impérialisme culturel, reflet d'une puissance passée, dont l'actualité est discutable.

Le rôle des historiens est de déconstruire et d'expliquer les différentes périodisations.