Le modèle athénien

À partir du VIIIe siècle avant JC, les contacts se multiplient entre les populations qui vivent tout autour de la Méditerranée. Ces rapports sont parfois violents, mais aussi pacifiques. La Méditerranée, « mer du milieu » selon l’étymologie, devient un véritable carrefour commercial. Au Ier siècle après JC, on peut même en faire le tour de la mer sans jamais sortir des frontières de l’Empire romain.

De ces rencontres, une culture commune voit le jour, dont les traces sont encore visibles aujourd'hui. Comment les contacts entre des espaces situés tout autour de la Méditerranée ont-ils permis la constitution d'une culture commune ? L’influence de la civilisation grecque, et d’Athènes plus particulièrement, a été grande sur les civilisations suivantes, dans la plupart des domaines.

Les Grecs comme plus tard les Romains nous ont légué des formes de gouvernement : monarchie, aristocratie, démocratie ; des formes d’administration et des institutions ; des règles de droit qui ont inspiré le droit contemporain.

#1. La Grèce des cités

#A. Origine des cités

Après avoir vécu dans de petits royaumes entre le XIIIe et le VIIIe siècle avant JC, de grandes migrations ont amené les Grecs à se regrouper au sein de nouvelles structures : les cités (Polis, en grec, d’où dérive le mot « politique »).

Centrées autour de la mer Égée, incluant l'archipel des Cyclades, elles colonisent les rives de la Méditerranée.

La Polis est un territoire sur lequel vit une communauté possédant ses propres institutions et ses propres cultes, comprenant une ville principale, généralement développée autour d’une colline fortifiée ou acropole, et les terres alentour. La cité est donc un micro-état.

#B. Différents régimes politiques

Dans ces cités, on trouvait des monarchies traditionnelles (l’autorité revenant à un seul homme, monarque, qui possède tous les pouvoirs).

La plupart sont alors dominées par une aristocratie, régime dans lequel ce sont les élites qui ont le pouvoir. Il existe aussi des oligarchies, régimes où le pouvoir est confié à un petit groupe, comme à Sparte par exemple, où 30 notables sont élus à vie parmi les plus de 60 ans.

Parfois, souvent suite à un conflit ou une crise sociale grave, des tyrannies prennent le pouvoir. Le tyran gouverne seul.

#2. La démocratie athénienne

#A. Spécificités d’Athènes

#a) Naissance de la démocratie

Athènes compte au Ve siècle avant JC entre 270 000 et 300 000 habitants et possède un port important, le Pirée, à 6 km d’Athènes. La prospérité économique et l’accroissement des inégalités entre les populations de la campagne et de la ville poussent la cité dans un processus de réforme politique.

À la fin du Ve siècle, Clisthène veut l’égalité de tous devant la loi, c’est le principe de l'isonomie, et, pour tous, la possibilité de participer à la vie de la Cité. Il fonde une démocratie directe : le peuple est réuni pour prendre les décisions essentielles.

#b) Les réformes de Périclès

Tous les citoyens participent à la défense de la Cité. Ceux qui ont les moyens de se payer un équipement sont cavaliers, ou chefs de vaisseaux. Les autres sont fantassins (hoplites) ou rameurs. Cette défense est efficace. Les Perses sont ainsi vaincus par deux fois lors des guerres médiques :

  • sur terre, par les hoplites à Marathon contre Darius en 490,
  • en mer, à Salamine grâce aux rameurs en 480 lors d’une bataille opposant 380 trières grecques contre 1200 navires perses.

Le petit peuple gagne un certain sens de la vertu militaire et beaucoup de prestige. Puisque tous participent à la défense de la cité, tous doivent naturellement pouvoir participer à sa direction.

Périclès, neveu de Clisthène, est élu pendant 30 ans comme stratège. C’est lui qui ouvre les postes aux moins aisés, en instaurant le misthos : indemnité donnée aux citoyens chargés d’occuper des fonctions. Ainsi, même les plus pauvres peuvent le faire, le temps qu’ils occupent aux fonctions politiques est indemnisé. Athènes devient un modèle politique dont le souci est la participation et l’égalité des citoyens.

#B. Citoyenneté et institutions politiques

#a) Pouvoir législatif

Le pouvoir législatif consiste à créer les lois. Il existe deux institutions :

  • L’Ecclésia se trouve sur la colline de la Pnyx. L’ensemble des citoyens est censé y participer. Chacun peut demander la parole et proposer un amendement. Les projets de lois y sont discutés. L’Ecclésia élit les stratèges, contrôle les magistrats qu’elle peut à tout moment révoquer. Elle peut voter l’atimie (privation totale ou partielle des droits politiques) et l’ostracisme (le citoyen jugé dangereux est banni pour une durée de 10 ans). Elle vote aussi l’entrée en guerre.
  • La Boulè se trouve sur la place publique de l’Agora. C’est une assemblée représentant les dix tribus d'Athènes, chacune y envoyant chaque année cinquante bouleutes tirés au sort. Elle recueille les propositions de lois présentées par les citoyens pour pouvoir ensuite convoquer l’Ecclésia. Elle est aussi chargée de coordonner et de contrôler le travail et les comptes des magistrats.

#b) Pouvoir exécutif

Le pouvoir exécutif est la tête de l’État. Il est composé de deux types de magistrats :

  • 10 stratèges, commandant l’armée. Ils sont élus annuellement par l’assemblée, et sont rééligibles. Ce sont les principaux magistrats de la cité. Périclès a dominé l’Ecclésia pendant près de 30 ans.
  • 10 archontes, choisis par tirage au sort. Cette méthode permet l’égalité des chances de tous les citoyens. Ils président les tribunaux et les cérémonies religieuses.

Les magistrats sont contrôlés à la fin de leur mandat et sont responsables sur leurs biens de leurs fautes éventuelles. Le modèle athénien accorde donc une place importante à la responsabilité des actions politiques.

#c) Pouvoir judiciaire

Deux types de tribunaux existent :

  • L’Aréopage juge les meurtres. Il est formé par les anciens archontes.
  • L’Héliée jugent les autres affaires. Pour chaque procès, suivant la gravité du cas, on désigne par tirage au sort, un nombre plus ou moins important d’héliastes. C’est un tribunal populaire où le peuple rend la justice. La tâche de juger est d'autant plus difficile qu'il n'y a ni code de procédure, ni code pénal. Il est donné à chacun le droit d’intervenir en justice contre quiconque aurait enfreint les lois. Après les plaidoiries, il juge sans délibérer. Les sentences sont sans appel et immédiatement exécutoires.

#C. Droits et devoirs des citoyens

#a) Des droits importants

Le système athénien repose sur l’isonomie et cherche donc l’égalité. Sans condition de richesse, ni d’éducation, ni de métier, chaque citoyen peut participer à la vie politique, dans l’assemblée que constitue l’Ecclésia. Chaque citoyen peut être élu comme stratège ou bien tiré au sort pour devenir archonte (sur la base du volontariat).

On voit que l’étendue des droits politiques est très importante. Cela explique que certains citoyens aient préféré la mort plutôt que la déchéance de ces droits et l’exil. C’est notamment le cas de Socrate, qui choisit de boire la cigüe et donc de mourir, plutôt que d’être banni.

#b) Devoirs militaires, religieux et financiers

En contrepartie de ces droits, les devoirs sont nombreux.

Pour pouvoir devenir citoyen, il faut accomplir, l’éphébie, un service militaire de 2 ans à partir de l’âge de 18 ans. Les citoyens sont appelés à servir jusqu’à 60 ans.

La flotte athénienne est composée de citoyens pauvres, les thètes, qui ne peuvent financer leur équipement, à la différence des hoplites (soldats de l'infanterie) ou des cavaliers. Commandés par les stratèges qui doivent rendre des comptes à leurs soldats et peuvent être destitués. Chaque année, un citoyen fortuné est tiré au sort pour financer un navire de guerre : la trière, qu’il commandera.

Tous les ans, les Athéniens doivent aussi honorer leur déesse, Athéna, pour laquelle ils ont édifié les temples de l’Acropole. La fête des Panathénées, c'est-à-dire de tous les Athéniens, est célébrée fin juillet. Tous les quatre ans ont lieu les Grandes Panathénées. Les citoyens les plus riches mettent leur fortune à disposition de la communauté pour les fonctions onéreuses. Les chœurs théâtraux, les fêtes religieuses, les banquets sont également financés. En revanche, les plus pauvres touchent une aide, par exemple les veuves et orphelins de guerre.

#D. Peut-on vraiment parler d’un modèle athénien ?

#a) Les exclus de la citoyenneté

Dans ce modèle, les droits politiques ne sont ouverts qu’aux citoyens, qui ne représentent qu’environ 40 000 personnes sur 300 000 habitants. Les citoyens sont des hommes libres, nés de père citoyen et de mère fille de citoyen, ayant accompli l’éphébie.

Les femmes, considérées comme mineures, ne sont pas politiquement citoyennes, mais sont nécessaires à la transmission de la citoyenneté.

Les métèques (étrangers originaires d’une autre cité) paient un impôt, le métoïkon, et participent aux contributions et aux fêtes. Ils sont soumis au service militaire, mais n’ont aucun droit politique. Ils peuvent épouser une fille de citoyen, mais leurs enfants n’accéderont jamais à la citoyenneté. Le meurtre d’un métèque est passible de l’exil comme celui d’un esclave. Seul le meurtre d’un citoyen conduit à la mort.

Les esclaves, sont issus des enlèvements en temps de guerre, de la piraterie, du brigandage et du commerce, et n’ont aucun droit politique. L’esclavage est héréditaire. Ils sont vus comme des outils (travaillant dans les mines, champs et maisons) et ils ont une faible possibilité d’être affranchis.

#b) La démagogie

Avec le débat démocratique apparaît une dérive possible du discours politique. Les démagogues, plutôt que de chercher à communiquer la vérité et œuvrer pour l’intérêt général, cherchent davantage à flatter l’opinion pour accéder aux positions de pouvoir. Les philosophes dénoncent cette dérive du système athénien, utilisée par des citoyens opportunistes. Ils cherchent aussi à éduquer la jeunesse contre les sophistes, des rhéteurs qui émettent des raisonnements en apparence logiques pour tromper leur auditoire.

De manière générale, les philosophes s’opposent au modèle athénien en ce qu’il favorise l’accès au pouvoir des incompétents.

#c) Un modèle esclavagiste ?

Le système repose aussi sur une exploitation esclavagiste institutionnalisée. Outre les esclaves domestiques, il existe aussi des esclaves d’État. Ils occupent des fonctions auprès de la police, dans les bureaux de la magistrature, aux archives ou à la Monnaie. Ils sont aussi mobilisés en temps de guerre.

#d) Première occurence d’un modèle de démocratie directe

Bien que le système athénien ne soit pas parfait, il demeure la première occurrence, dans l’Histoire, d’une démocratie directe.

Aujourd’hui, peu de régimes démocratiques peuvent se flatter d’avoir un tel système. Ainsi, la souveraineté du peuple s’exprime aujourd’hui par la représentation : on élit des citoyens qui relaient la volonté des citoyens dans les assemblées.

#e) La démocratie comme catégorie de la science politique

Cette première occurrence de démocratie dans la Grèce des cités, malgré ses grandes imperfections, a profondément structuré nos mentalités, au point que la démocratie est devenue une catégorie de notre pensée en matière d’exercice du pouvoir, de critique des inégalités, d’accès à la citoyenneté et des dérives populistes.

Le modèle athénien peut servir de point de départ à la réflexion politique.

#3. Grandeur et décadence d’Athènes

#A. La thalassocratie athénienne

#a) La victoire sur les Perses

En 490 avant JC, une partie des cités grecques s'unit pour affronter l'empire perse menaçant. Les Perses sont battus à Marathon (490 avant JC). En 480 avant JC, une nouvelle attaque est repoussée lors de la bataille navale de Salamine par la flotte athénienne.

Cette réussite conduit Athènes à prendre la tête d'une alliance grecque contre les Perses créée en 478 avant JC : la Ligue de Délos.

#b) La Ligue de Délos : une coalition qui renforce la puissance athénienne

Elle permet à Athènes de dominer les autres cités qui lui versent chaque année un tribut, en navires et en argent, et adoptent sa monnaie. En échange, Athènes assure la défense et mène la guerre. Le trésor de la Ligue, est installé sur l'île de Délos, dans les Cyclades.

Athènes fonde des clérouquies (comptoirs commerciaux dirigés par des athéniens) dans les cités qu'elle domine, assurant tout à la fois la continuité de sa prospérité commerciale, la promotion de son modèle politique et son contrôle militaire en mer Égée.

#B. Le « siècle de Périclès »

Périclès est élu stratège de façon quasi continue de 461 avant JC jusqu'à sa mort en -429. Il domine la vie politique. C’est alors l'apogée d'Athènes dans les domaines de l'art, de la littérature et de la philosophie. Le théâtre devient un lieu central de la cité. La tragédie s'épanouit avec les pièces d'Eschyle, Sophocle et Euripide.

Périclès transfère à Athènes le trésor de la Ligue de Délos qu’il utilise pour financer la construction des fortifications qui relient le Pirée à la cité (les Longs Murs), mais surtout pour édifier les monuments de l'Acropole.

Les constructions de l'Acropole constituent un ambitieux programme architectural et artistique. Périclès veut restaurer les lieux incendiés par les Perses en 480, assurer du travail à la population et, montrer la supériorité de la démocratie athénienne.

#C. La Chute d’Athènes

#a) La guerre du Péloponnèse

Sparte est à la tête d'une autre alliance de cités, la Ligue du Péloponnèse. Bien qu'elles aient combattu ensemble contre les Perses, Athènes et Sparte deviennent de plus en plus rivales. En 431 avant JC, le conflit éclate entre les deux grandes puissances. La guerre du Péloponnèse s'achève en 404 avant JC par la défaite d'Athènes et l'effondrement de son empire maritime.

La Ligue de Délos est dissoute et Athènes doit adhérer à la Ligue du Péloponnèse. Les Athéniens doivent détruire les Longs Murs. Les Spartiates interdisent le régime démocratique qui est remplacé par une éphémère « tyrannie des Trente » choisis par Sparte.

Si cette tyrannie est renversée par une révolte un an plus tard et la démocratie rétablie, la cité a perdu ses possessions et se referme sur elle-même.

#b) La défaite de Chéronée

En 338 avant JC, le père d'Alexandre le Grand, Philippe II de Macédoine, défait Athènes et ses alliés lors de la bataille de Chéronée, en Grèce centrale. Après cette date, Athènes reste toujours sous la coupe d'une puissance extérieure : elle perd l'indépendance qui assurait le bon fonctionnement de sa démocratie.

#Conclusion

Au Ve siècle avant JC, Athènes invente un nouveau système politique, la démocratie, qui permet la participation de tous les hommes libres à la vie de la cité. L'égalité des droits, la liberté de parole (isegoria, égalité de tous pour la prise de parole, et parrhesia, droit pour chacun d'exprimer le fond de sa pensée), la participation directe des citoyens à l'assemblée (Ecclésia) caractérisent ce régime politique. Même si beaucoup sont exclus de cette citoyenneté.

En repoussant les invasions perses lors des guerres médiques, Athènes devient une thalassocratie. Elle dirige la ligue de Délos qui, protectrice des cités, devient peu à peu l’instrument de domination et de prospérité économique pour la cité qui se couvre de monuments. Au début du Ve siècle, Périclès favorise la participation du peuple aux affaires publiques et lui fait profiter des atouts de la ligue de Délos. Attaquée par Sparte, Athènes sort affaiblie de la guerre du Péloponnèse et passe au siècle suivant sous la domination de la Macédoine puis de Rome.