Conclusion - La puissance des États-Unis aujourd'hui

Ce chapitre conclusif cherche à évaluer le hard power et le soft power américain, ainsi que leur remise en cause.

#1. Une puissance militaire et diplomatique

#A. La première puissance militaire mondiale

#a) Un budget militaire colossal

Le complexe militaro-industriel états-unien, ensemble des acteurs de la production, des forces armées et du commandement militaire, reflète l’étendue de la puissance. Le pays est le premier exportateur d’armes dans le monde, avec 57% du total mondial.

Les États-Unis ont un budget militaire qui représente 3,1% du PIB, en 2017, soit 610 milliards de dollars. Ce budget colossal équivaut à 35% des dépenses militaires mondiales. Pour comparaison, la Chine dépense trois fois moins. Ce budget a été largement augmenté dans les années 2000, et notamment après les attentats du 11 Septembre 2001.

#b) Une puissance de frappe mondiale

Outre l’arme nucléaire, dont on sait qu’elle est une force coercitive, les États-Unis ont un arsenal bien supérieur aux autres puissances. La flotte est répartie sur tous les océans et leurs nombreuses bases militaires leur permet des déploiements rapides. La base de Diego Garcia, localisée dans l’archipel des Chagos, leur permet par exemple de se déployer au Moyen-Orient, s’ils le jugent nécessaire.

Depuis la Première Guerre du Golfe (1990-1991), leur arsenal de précision leur permet de suivre la doctrine « une bombe, une cible », remplaçant les méthodes de destruction massive de la Seconde Guerre mondiale. La frappe est chirurgicale, dans l’idée de réduire les dommages collatéraux et les pertes civiles.

Les États-Unis ont des appuis dans le monde entier, conséquence des accords militaires bilatéraux avec de nombreux pays : Corée du Sud, Japon, Israël, etc.

Enfin, les États-Unis sont à l’origine de l’OTAN. La coalition qui se justifiait en temps de guerre froide sert aujourd’hui de rempart à la puissance russe.

#c) Nouvelles guerres et interventions unilatérales

Depuis le 11 Septembre 2001, la guerre que les américains livrent a pour cible le terrorisme ou les « états voyous » (rogue states). En 2003, en dépit du défaut de consensus international pour une intervention en Irak, George W. Bush décide unilatéralement d’attaquer l’Irak, sans résolution de l’ONU.

#B. Une diplomatie puissante au service de l’idéologie américaine

#a) De nombreuses délégations, dans le monde entier

Les États-Unis disposent d’environ 300 ambassades et consulats, une grande puissance diplomatique. Ces représentations sont partout, sauf dans les États idéologiquement opposés aux États-Unis : en Iran (depuis 1979), en Corée du Nord. Les États-Unis ont ouvert une ambassade à Cuba en 2015.

#b) Le messianisme, origine idéologique d’une politique mondiale

Les valeurs étatsuniennes sont relayées dans le monde entier : modèle démocratique, libéralisme économique et liberté d’expression. La mission des États-Unis s’enracine dans le Manifest Destiny (destinée manifeste), il s’agit de répandre le Bien dans le monde entier. Les États-Unis se conçoivent donc, par idéologie, comme guides de l’ordre mondial.

S’il faut répandre le Bien, il faut aussi combattre le Mal. Quand les moyens diplomatiques ne suffisent pas, c’est par les moyens de la guerre que les États-Unis le font. On comprend ainsi la rhétorique des certains présidents américains. Reagan parlait de « L’Empire du Mal » à propos de l’URSS. Georges W. Bush, de « L’Axe du Mal » à propos des États dits voyous et des organisations terroristes.

#c) La puissance des États-Unis dans les organisations internationales

Les États-Unis ont été à l’origine des organisations de paix, que ce soit la création de la SDN (Société des Nations) en 1919, dont l’idée figurait dans les « 14 points de Wilson » et dans les traités internationaux ; mais aussi, la création de l’ONU en 1945, dont le siège se trouve à New York.Membre du Conseil de Sécurité de l’ONU, ils disposent d’un droit de veto, capacité de bloquer une résolution.

En tant que puissance victorieuse de la Seconde Guerre mondiale, ils ont été les architectes de la gouvernance économique mondiale. C’est ainsi que leur influence est considérable dans les organisation internationales : l’OMC (Organisation mondiale du commerce, anciennement GATT), le FMI (Fonds monétaire international), la Banque Mondiale, mais aussi le G7 et le G20. Cette position est un facteur supplémentaire de puissance.

#C. Une politique étrangère faite d’une alternance entre interventionnisme et repli

#a) Origine de la tentation du repli

Les États-Unis se sont affirmés comme puissance régionale au XIXe siècle grâce à l’idée que leur prospérité tenait à un non-interventionnisme politique. Les affaires de l’Europe, à l’époque, ne mènent qu’à la guerre, inutile de s’en mêler.

En 1823, la Doctrine Monroe (du nom du président James Monroe) établit ce principe isolationniste sur le papier : aucune intervention politique ne doit être menée si le continent américain n’est pas directement touché.

Cette tradition isolationniste a émergé de nouveau au XXe siècle et au XXIe siècle. Ainsi, en 1919, malgré la volonté de Wilson de mener une politique internationale, les États-Unis se sont retirés de la SDN, les sénateurs jugeant les organisations internationales incompatibles avec la constitution américaine. Les États-Unis sont aussi restés dans le non-interventionnisme au début de la Seconde Guerre mondiale, jusqu’aux rencontres bombardements de Pearl Harbour. Ces replis ont mené à une politique étrangère faite de négociations bilatérales.

On comprend donc le principe qui inspire certains présidents américains, comme George W. Bush ou Donald Trump : « America first ». On comprend aussi le principe qui gouverne la décision de se retirer des accords multilatéraux, notamment dans le domaine du nucléaire et du climat (accords de Paris en 2017, accords sur le nucléaire iranien en 2018).

#b) Les architectes de l’ordre mondial

Cependant, comme on l’a vu précédemment, les États-Unis, devenus première puissance mondiale en 1918, ont aussi mené une politique basée sur l’interventionnisme et le multilatéralisme, surtout après 1945, au point de devenir les architectes de l’ordre mondial.

Ils mènent aujourd’hui des opérations de maintien de la paix, sous l’égide de l’ONU. Ils participent aux opérations de l’OTAN. Ils protègent les routes de la mondialisation, notamment en Mer de Chine. Obama, de 2009 à 2016, a mené une politique basée sur le multilatéralisme, dont on dit que le principe est le leadership from behind.

#2. Une puissance économique et culturelle

#A. La première puissance économique mondiale

#a) Une richesses fondée sur les ressources et la population

Les États-Unis sont le troisième pays par la superficie, avec un peu plus de 9 millions de kilomètres carrés. Le pays est une puissance agricole et le premier producteur de pétrole. Le pays compte aussi de nombreuses ZEE (zones économiques exclusives) : son domaine maritime est le deuxième dans le monde. Il y a trois façades maritimes, une ouverte sur l’Atlantique, une sur le Pacifique et une autre sur les Caraïbes.

La population est productive. Les États-Unis peuvent compter sur leur attractivité : le brain drain. L’immigration est constituée de 500 000 à 800 000 travailleurs qualifiés, en provenance d’Inde ou du Canada. L’immigration compte aussi 1 million de clandestins, qui renforcent également la compétitivité de l’économie.

#b) Production et secteurs compétitifs

En 2018, le PIB correspond à 24% de la richesse mondiale. Les États-Unis sont la première puissance agro-exportatrice. Leur industrie automobile et aéronautique concurrence les plus grandes FTN dans le monde.

Le pays est le premier pays investisseur en recherche et développement. Les entreprises se trouvent notamment dans la Silicon Valley, de San Francisco à San José, qui concentre également les géants d’Internet.

#c) Les États-Unis dans la mondialisation

Le pays est le deuxième émetteur d’IDE (investissements directs à l’étranger). Les FTN originaires des États-Unis comptent parmi les plus puissantes. Sur un classement des 500 premières FTN, 127 sont originaires des États-Unis.

Les États-Unis disposent de villes mondiales, dont New York, qui accueille un des cœurs de la finance mondialisée, à Wall Street. Le dollar est, par ailleurs, une monnaie internationale, qui sert aux échanges dans le monde entier.

Enfin, comme vu précédemment, les États-Unis ont une position de puissance dans les organisations internationales, comme l’OMC, le FMI et la Banque Mondiale. Les États-Unis sont un des centres de la mondialisation, origine et destination de tous types de flux.

#B. Le modèle américain : une puissance culturelle d’envergure mondiale

#a) Attractivité touristique et universitaire

Le pays est la troisième destination touristique. Les lieux qui attirent les touristes sont des lieux de puissance, en ce qu’ils nourrissent les imaginaires, et connus de tous, au travers de la production cinématographique (Hollywood) et audiovisuelle, la littérature et la musique.

Les pôles universitaires ont un rayonnement mondial. 16 universités américaines (Harvard, MIT, Stanford) comptent parmi les 20 premières universités, selon le classement de Shanghai. Les universités attirent 25% des étudiants étrangers quittant leur pays pour étudier, soient 1 million d’étudiants. Enfin, les États-Unis sont très actifs dans le dépôt de brevets et sont au premier rang mondial pour l’obtention de prix Nobel.

#b) Un modèle diffusé dans le monde entier

Comme mentionné plus haut, l’American way of life s’est diffusé dans le monde entier. Dans le monde entier, on rêve d’une vie confortable à l’américaine avec véhicule personnel, résidence dans le périurbain, accès à la consommation de masse.

La constitution américaine promet le droit au bonheur, la démocratie, la liberté d’expression et elle encourage la recherche de la prospérité. Les valeurs se sont diffusés dans le monde, et la volonté politique de les diffuser était d’ailleurs bien claire dès les origines de la guerre froide : il fallait faire barrage au communisme. L’idéologie s’est imposée.

#c) Américanisation du monde

Les produits et les marques américaines sont présents dans le monde entier, et sont souvent des références sur le plan de la qualité : fast-food, marques de produits de haute technologie, vêtements, applications et outils numériques.

La culture américaine se déploie à l’échelle du globe. Musique, courants artistiques et littéraires sont les vecteurs de ce puissant soft power.

#3. Une puissance limitée et contestée

#A. Un modèle contesté de l’intérieur qui génère des crises nationales et internationales

#a) les discriminations ethniques et les inégalités sociales

Le modèle étatsunien est imparfait. Les problèmes prennent des formes variées : discrimination, violence policière, pauvreté, inégalités genrées, inégalités scolaires, notamment.

Les mouvements afro-américains ont prouvé la gravité des discriminations dans les années 1960 et 1970. On se souviendra de Martin Luther King et de son assassinat en 1968. En mai 2020, le mouvement « Black Lives Matter » montre que le problème n’a pas trouvé de solution.

La pauvreté touche 11,1% de la population. Cette dernière touche en effet deux fois plus les populations noires que blanches. Ainsi, la ségrégation sociale s’ajoute à la discrimination raciale. Il y a aussi une fracture nette entre urbains et ruraux : le PIB par habitant à New York est le double de celui du PIB par habitant dans le Mississipi.

#b) Un modèle de développement dérégulé qui génère des crises

Le modèle étatsunien est un modèle capitaliste, ultra-libéral, sans régulation, c'est-à-dire avec le moins d'obstacle possible pour les affaires. Le principe de la recherche de prospérité individuelle aux États-Unis repose, en effet, sur le laisser-faire, avec le minimum d'intervention de l'État, en vue maximiser les échanges et donc, les profits.

Or, ce modèle repose sur la dette, comme effet de levier, et peut générer des inégalités et crises mondiales très graves. Comme le dit le proverbe, en matière d'économie, « quand les États-Unis éternuent, le monde s'enrhume ». En effet, nos économies mondialisées sont interdépendantes et une crise touchant la première économie mondiale veut nécessairement dire une crise qui touche le monde entier.

On l'a bien vu pendant la crise des subprimes de 2007-2008. Le marché immobilier reposant sur des prêts peu sûrs s'est retrouvé pris en défaut, et lesdits prêts transformés en produits financiers également en défaut. Tout ceci a provoqué la faillite des ménages, de fonds d'investissements et de grandes banques, dont Lehman Brothers en Septembre 2008. La crise s'est étendue au monde entier et les États, comme la France ou la Belgique, ont dû refinancer leurs grandes banques pour éviter une crise absolue et systémique qui aurait impliqué l'épargne de leurs citoyens.

#c) Des épisodes de violence politique

L’année 1968 elle seule pourrait servir à illustrer la violence politique américaine avec les assassinats de Robert Kennedy et de Martin Luther King, auxquels il faut ajouter la violence des manifestations des mouvements afro-américains et des étudiants contre la guerre du Vietnam.

Des épisodes plus récents ont provoqué la consternation. L’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump, le 6 janvier 2021 a fait redouter un coup d’État. Les images ont rapidement fait le tour du monde et effrité l’image du modèle démocratique des États-Unis.

#B. Une puissance impérialiste fragilisée

#a) 11 Septembre 2001 : l’hyperpuissance touchée en son cœur

Les États-Unis, devenus hyperpuissance à la dissolution de l’URSS, n’avaient jamais connu de guerres sur leur propre territoire. Les attentats du 11 Septembre 2001 ont créé un grand traumatisme. Un des symboles de la puissance américaine, les Twins Towers, s’est effondré, et avec lui, l’assurance de l’hyperpuissance.

Les États-Unis ont immédiatement augmenté leur niveau de défense au maximum, augmenté leur budget militaire, adopté des règles d’immigration plus restrictives et de mesures de sécurité accrues aux aéroports et aux frontières.

L’image des États-Unis s’est dégradée en raison d’une lutte contre le terrorisme qui les a conduits à nier les droits des l’homme, notamment à cause des tortures infligées aux prisonniers de la base de Guantanamo soupçonnés d’appartenir à Al-Qaida.

#b) Des interventions et des décisions unilatérales critiquées

Les interventions qui ont suivi les attentats, contre l’avis de la communauté internationale, ont, de plus, été inefficaces. L’intervention en Afghanistan de 2001, et celle en Irak en 2003, n’ont pas donné lieu à une gestion post-conflit. En conséquence, l’Irak a subi des conflits entre communautés et les talibans sont revenus au pouvoir en Afghanistan.

L’unilatéralisme américain isole le pays dans un leadership solitaire fortement critiqué. On se souviendra du discours de Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères de la France, le 14 Février 2003, devant le Conseil de Sécurité à l’ONU. Il exprimait le refus de la France d’intervenir en Irak, mais aussi critiquait la volonté belliciste américaine alors que les inspections n’avaient pas été menées à bien. Le discours aura même provoqué une vague de francophobie aux États-Unis.

Le retrait États-Unis des accords de Paris, leur retrait de l’UNESCO ont aussi provoqué de nombreuses critiques dans la communauté internationale.

#c) Un sentiment anti-impérialiste

Il existe des organisations latino-américaines et caribéennes qui luttent contre l’impérialisme étatsunien. Les interventions des États-Unis dans les pays d’Amérique Latine ont été, au XXe siècle, particulièrement nombreuses, ainsi que leur soutien au dictateurs locaux, comme Pinochet, au Chili en 1973. On peut citer l’organisation de l’ALBA, notamment. Il s’agit de lutter contre l’hégémonie des États-Unis et du dollar, contre le libéralisme et privilégier le service public.

En 2021, alors que la devise officielle du Salvador avait été remplacée par le dollar américain en 2001, le président du Salvador a décidé de faire de Bitcoin une monnaie légale et officielle du pays.

D’autres pays sont les ennemis absolus des États-Unis et ont donc développé un rejet total des valeurs américaines : l’Iran et la Corée du Nord.

#C. Une puissance contestée par d’autres acteurs de la mondialisation

#a) Multiplication de la concurrence économique

Depuis la fin de la guerre froide, le monde est progressivement devenu multipolaire. La concurrence vient donc des nombreux pays, et des BRICS au premier chef. Les nouvelles routes de la Soie n’ont d’ailleurs pas d’équivalent américain.

Sur le plan du commerce international, avec plus de 500 millions de consommateurs, l’Union Européenne devance les États-Unis. Le Mercosur (Mercado Común del Sur) est aussi une concurrence de taille en Amérique Latine.

#b) Tensions croissantes avec la Chine

Une véritable guerre économique a lieu entre la Chine et les États-Unis : chaque pays redéfinit son protectionnisme en fonction des produits de l’autre pays.

Bien que la Chine reproche publiquement aux États-Unis d’être dans une logique de guerre froide, logique qui appartiendrait au passé et qui pousserait les États-Unis à se méfier, elle multiplie les provocations en ce sens. Par exemple, la Chine occupe depuis environ 10 ans, au mépris du droit maritime international, une très large partie de la Mer de Chine du Sud, et a poldérisé de nombreux îlots et récifs en vue de les militariser. Les États-Unis ont déployé leur marine dans la région et les tensions se multiplient entre les deux pays.

Les États-Unis ont voté au Congrès, en 1979, le Taiwan Relations Act, traité stipulant une possible intervention étatsunienne si Taiwan était menacée. Ce traité va évidemment à l’encontre des ambitions chinoises et pourrait provoquer une escalade de violence à l’échelle internationale.

La propagande chinoise, longtemps destinée aux chinois, s’est diversifiée et internationalisée. Elle vise maintenant tous les mécontents ou laissés pour compte du modèle américain. La Chine prétend même avoir réinventé la démocratie, une démocratie « aux caractéristiques chinoises ». Le modèle chinois, qui se flatte d’éliminer la pauvreté sans faire cas de ses pratiques autoritaires, est un sérieux contre-pouvoir qui remporte de l’adhésion.

#c) L’OTAN et l’aide américaine à l’Ukraine

La volonté de l’OTAN d’intégrer de nouveaux pays dans l’ancien bloc soviétique crée des tensions entre la Russie et les États-Unis. Le maintien même de l’OTAN, alors que la guerre froide est terminée depuis plus de trente ans, créait déjà la perception de la menace.

Les agressions russes menacent le modèle américain. L’aide américaine à l’Ukraine, dans le cadre de sa résistance à l’agression russe, questionne. Les tensions géopolitiques dépassent le conflit russo-ukrainien et l’Europe elle-même.