+ Chemins de la puissance, la Chine depuis 1949

Le 1er Octobre 2019, la Chine célébrait en grande pompe le 70e anniversaire de la naissance de la République Populaire fondée par Mao Zedong, commémoration de la victoire des communistes sur les nationalistes exilés à Taiwan, mais aussi démonstration de puissance et d’unité, image relayée par les médias pour la population chinoise et pour le monde entier.

Une telle démonstration ne manque pas de questionner : comment la Chine est-elle passée du sous-développement, en 1949, à la puissance considérable que l’on connaît aujourd’hui ? Il s’agit donc d’analyser le chemin vers la puissance : les étapes et les manifestations de cette puissance politique et économique depuis 1949, de même que les tensions et conflits liés à la construction de cette puissance.

Dans un premier temps, on étudiera la Chine de Mao, de 1949 à 1976, une Chine en quête de puissance. Ensuite, on analysera l’émergence et l’ouverture à l’économie de marché de la puissance chinoise, de la mort de Mao à nos jours. Enfin, on s’attachera à étudier les limites de cette puissance.

#1. La Chine de Mao (1949-1976) : une quête de puissance

#A. L’alliance avec l’URSS

#a) Tenir tête aux États-Unis

En 1949, à l’issue d’une guerre entre communistes et nationalistes du Kuomintang, la République Populaire de Chine est proclamée sur le continent par Mao Zedong. Tchang Kai-Chek et les forces nationalistes s’exilent à Taiwan. Cependant, l’Occident ne reconnaît pas la République Populaire alors que les pays reconnaissent la légitimité du gouvernement de Tchang Kai-Chek.

Dans un contexte de guerre froide, Mao Zedong décide donc de s’allier à l’Union Soviétique, dont il partage la ligne idéologique et la volonté de lutter contre l’impérialisme américain. Il faut « se pencher d’un côté pour attaquer de l’autre, » justifie Mao. C’est ainsi que les forces armées de la République Populaire de Chine sont aux côtés de la Corée du Nord, puissance régionale soutenue par l’URSS, au moment de la Guerre de Corée. La Chine perd 200 000 hommes pendant le conflit, mais parvient à repousser l’offensive du Général Mac Arthur. C’est une première étape vers la puissance, qui montre une détermination sans faille à tenir tête aux États-Unis.

#b) Le modèle soviétique

Cette alliance avec l’URSS signifie également adoption du modèle soviétique. Comme le déclare Mao à l’époque, « le présent de l’URSS est le futur de la Chine ». En 1950, le Traité d’amitié avec l’URSS est signé, il entraîne alliance et assistance mutuelle.

La Chine nationalise entreprises, collectivise les terres et les moyens de productions. L’économie est planifiée, sur le modèle des plans quinquennaux, avec quotas de production. De plus, la Chine bénéficie du matériel et de l’expertise soviétique en ingénierie.

#c) Rupture de l’alliance

Cependant, l’amitié sino-soviétique ne tient pas. La mort de Staline en 1953 et la politique de déstalinisation menée par Krouchtchev à partir de 1956 provoquent une scission. Mao se voit comme le successeur de Staline et comme le seul à respecter les principes du communisme. Il n’apprécie guère que Krouchtchev critique et trahisse Staline : on ne critique pas les camarades. La Chine prend donc ses distances avec l’URSS.

#B. Une volonté de s’affirmer comme puissance internationale

#a) Affirmation de la souveraineté et de la puissance chinoise

La République Populaire est en quête de puissance et doit affirmer sa souveraineté. C’est ainsi que le Xinjiang est annexé en 1949 et le Tibet en 1951. Une véritable colonisation Han, ethnie dominante en Chine, est en marche.

En 1960, la langue est normalisée. Le mandarin devient langue officielle et les caractères sont simplifiés. Il s’agit, pour le PCC, parti communiste Chinois, d’accélérer l’alphabétisation du pays. Les nombreuses langues sinitiques et dialectes, utilisant leurs sinogrammes propres sont en effet des obstacles à l’unité de la République Populaire de Chine.

D’autres conflits frontaliers naissent, notamment en 1962, avec l’Inde et l’URSS.

Enfin, en 1964, la Chine fait son premier essai atomique. L’entreprise est bien à la fois de consolider l’unité de la République Populaire mais aussi de s’affirmer sur la scène internationale.

#b) La volonté d’influencer les  non-alignés

Dans le contexte de guerre froide et de décolonisation, certains pays ne veulent appartenir ni au bloc de l’Ouest, ni au bloc de l’Est. En 1955, la Chine est présente à la conférence de Bandung. Zhou Enlai s’évertue à présenter la Chine comme le leader des non-alignés face aux Grands, les superpuissances américaine et soviétique. La Chine a besoin d’alliés et l’entrée du Tiers-Monde sur la scène internationale est l’opportunité de l’affirmation de sa puissance. Elle offre ainsi des aides économiques, techniques et militaires en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud.

C’est un succès en Afrique, comme en atteste TAZARA, le chemin de fer Tanzanie-Zambie, construit en 1976 à titre gratuit. Pour la Chine, il s’agit non seulement d’influencer le Tiers-Monde mais aussi répandre une révolution communiste suivant un modèle chinois, libre de la logique des blocs. Cependant, face aux deux superpuissances, la Chine reste un pays isolé.

#c) Le maoïsme en Occident

La politique communiste de Mao séduit aussi en Occident parce qu’elle constitue une alternative à la politique soviétique, dont les goulags ont suscité l’horreur en Occident. Le maoïsme est donc vu comme une possible sortie du stalinisme par le haut : pouvoir des masses, pouvoir du peuple.

Le maoïsme émerge, notamment en France et en Belgique, poussé par des intellectuels comme Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Le succès du maoïsme est croissant en France au moment des événements de Mai 1968. Certains étudiants cessent leurs études pour se joindre aux ouvriers et préparer la révolution. La « voie chinoise » séduit et attire les milieux étudiants, intellectuels et politiques, mais aussi les militants tiers-mondistes.

#d) Le rapprochement avec les États-Unis

En 1971, la République Populaire de Chine obtient enfin la reconnaissance et son siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. C’est une grande avancée pour la stature internationale. La Chine se rapproche aussi des États-Unis en 1972, grâce à l’action d’Henry Kissinger. Nixon rend visite à Mao. À l’encontre de tout principe idéologique antérieur, les deux pays deviennent partenaires commerciaux, ce qui assoit davantage la puissance chinoise et son influence à l’international.

#C. L’évolution de la politique intérieure

#a) Un régime totalitaire dès 1949

L’unité de la République Populaire, condition de la puissance internationale, tient grâce à un régime totalitaire. Dès le plus jeune âge, les jeunes sont endoctrinés, embrigadés dans la Ligue de la jeunesse communiste chinoise. Un culte du chef est institué : Mao est le Grand Timonier. Le PCC, Parti Communiste Chinois, est le parti unique, aucune opposition politique n’est tolérée. Le contrôle de la population est total : contrôle de la langue, comme évoqué précédemment, propagande, censure et répression dans les Laogaïs, camps de rééducation par le travail.

Les foyers sont contrôlés à l’aide du système du hukou, qui répertorie l’état civil, enregistre les familles dans un lieu donné, hiérarchise les droits et relève de la sécurité publique. C’est un régime qui purge ses « éléments déviants ». Ainsi, la Campagne des Cent Fleurs de Mao en 1957, qui accorde initialement aux intellectuels et enseignants une liberté d’expression à propos des actions du parti, s’achève par une répression massive de centaines de milliers de personnes.

#b) Le Grand Bond en avant

En 1958, Mao pousse à l’extrême la logique de collectivisation et lance une nouvelle politique qui vise à stimuler la production, réaliser des projets de travaux publics de grande envergure et élargir les infrastructures industrielles. Toutes les terres sont mises en commun. Chaque commune opère indépendamment et a pour objectif d’atteindre l’auto-suffisance : en éducation, agriculture, petite industrie (fonderie), administration et sécurité locale, via des milices.

La politique, par la coercition de la population, est un fiasco qui mène à une désorganisation totale et une famine terrible. Les historiens estiment le nombre de morts entre 30 et 55 millions. Mais la remise en question de la politique de Mao est impossible. L’opposition est réprimée, déportée, torturée ou exécutée. Le bilan humain est catastrophique mais caché.

#c) La Révolution Culturelle

Mao prend ses distances avec le pouvoir, il démissionne de la présidence et laisse la place à Liu Shaoqi. Mao reste cependant à la tête du PCC. En 1966, il cherche à consolider son pouvoir à l’aide de sa femme, qui elle-même fait partie de la « Bande des Quatre ». Ainsi, ils fanatisent la jeunesse.

Les jeunes forment les Gardes Rouges et s’inspirent du Petit Livre Rouge de Mao pour mener leurs actions. Le but est de lutter de manière extrême contre tout élément déloyal : intellectuels, fonctionnaires, cadres du parti, artistes ne respectant pas la pureté de la révolution. « Détruisez l’ancien, construisez le nouveau » est la devise de cette Révolution Culturelle qui consiste à détruire les « Quatre Vieilleries » : coutumes, habitudes, idées, et culture. La Révolution Culturelle permet à Mao de reprendre le contrôle total du parti et de l’État.

Les éléments « déviants » sont donc publiquement humiliés, battus, forcés à l’auto-confession et déportés. La dénonciation est encouragée au sein même des familles. Parmi les cadres du parti purgés, on compte notamment Liu Shaoqi, Zhou Enlai et Deng Xiaoping. Le bilan se chiffre en dizaines de millions de morts.

#2. L’émergence de la puissance chinoise

#A. Le tournant

#a) Le socialisme de marché

À la mort de Mao en 1976, la Chine est en deuil mais la femme de Mao et les possibles successeurs sont évincés par les cadres qui avaient été mis à l’écart par Mao lui-même pendant la Révolution Culturelle. En 1978, Deng Xiaoping arrive au pouvoir. Son approche est radicalement différente et très pragmatique. « Il est glorieux de s’enrichir » déclare-t-il, entraînant la Chine dans une nouvelle ère.

Deng entreprend une décollectivisation et ouvre la Chine à l’économie de marché. Il entreprend les 4 modernisations : agriculture, industrie, recherche et défense. C’est l’entrée de la Chine dans un socialisme de marché, un socialisme qui vise à sortir les Chinois de la pauvreté, hybridation d’un communisme rigide. Ce socialisme de marché est inscrit dans la Constitution en 1993.

#b) Le rôle des ZES

Pour Deng, il ne s’agit pas d’ouvrir toute la Chine mais seulement des zones particulières et bien définies : les ZES, zones économiques spéciales qui sont de véritables laboratoires capitalistes dans une Chine communiste. Parmi les ZES, on peut citer Pudong à Shanghai et Shenzhen dans le Guangdong.

Shenzhen, en trente ans, passe du statut de village de pêcheurs à une métropole modèle de plus de 10 millions d’habitants. Ce sont d’abord les régions côtières (Xiamen et Shantou) de la Chine qui bénéficient en premier lieu du statut de ZES, ce qui crée un contraste important entre l’intérieur des terres et les littoraux.

Dans les années 90, ce sont les capitales provinciales et villes fluviales, notamment les villes sur le Yangzi, qui bénéficient de l’ouverture. « Nous traversons la rivière en nous appuyons sur les pierres, à tâtons » est le phrase de Deng, qui peut illustrer cette politique pragmatique d’ouverture, avec les incertitudes et les questions idéologiques qu’elle comporte. Cependant, la réussite des réformes est spectaculaire, la puissance démographique de la Chine permet de peser dans le développement industriel.

#c) Le frein à la pression démographique

Cependant, pour accélérer la sortie de la pauvreté il faut faire face à la pression démographique. Une politique de l’enfant unique est alors décidée. La politique est rigide dans les villes, où chaque enfant supplémentaire fait l’objet d’une taxe très importante.

Dans les campagnes et dans les provinces autonomes, pour les besoins des familles, la politique est plus souple. Malgré tous les effets pervers de cette politique, dont la pratique de l’infanticide, la baisse du taux de natalité montre le succès de la politique du PCC. Les arguments du parti sont de poids : des allocations et un « certificat d’honneur de parents d’enfant unique » sont accordées aux couples qui suivent à la lettre les instructions de la politique de l’enfant unique.

#B. Une puissance économique, diplomatique et militaire

#a) Le centre du monde économique

Depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC, Organisation Mondiale du Commerce, en 2001, la Chine connaît des taux de croissance spectaculaires chaque année, si bien qu’en 2010, elle passe devant le Japon et talonne les États-Unis. Les analystes de l’époque prédisent que la Chine sera la première puissance économique mondiale en 2020.

Depuis, 2007-2008, la Chine est littéralement le moteur de l’économie mondialisée. Le pouvoir d’achat des Chinois est décuplé en peu de temps. En 2011, Foxconn augmente ses ouvriers du Guangdong de 180%, le parti applaudit cette initiative. Le rôle de Hong Kong, ancienne colonie britannique rétrocédée en 1997, devenue RAS de Hong Kong, région administrative spéciale, est important. Hong Kong est une porte d’entrée qui permet aux capitaux extérieurs de pénétrer en Chine.

La Chine invite les entreprises étrangères à s’implanter sur son territoire, mais avec des conditions bien spécifiques, notamment la condition du transfert des technologies en échange de parts d’un marché intérieur colossal. Cette considérable puissance économique est le levier décisif d’une puissance globale.

#b) Une puissance diplomatique et militaire

Au niveau régional, la Chine entretient des relations et domine les échanges. Elle se déclare être une puissance mondiale pacifiste. Hu Jintao prône l’harmonie aussi bien à l’intérieur que dans les relations diplomatiques. Au moment de jeux olympiques de 2008, la Chine saisit l’occasion pour montrer une image positive au monde.

Depuis 2018, la Chine entretient des relations diplomatiques avec le Vatican. Le Pape peut choisir des évêques s’ils sont approuvés par le PCC. De plus, la Chine accentue son soft power avec l’ouverture de multiples instituts Confucius sur tous les continents. Leur nombre est aujourd’hui plus important que le nombre d’Alliances Françaises ou De British Council.

L’arrivée de Xi Jinping au pouvoir marque un tournant : la volonté de faire de la Chine une puissance militaire est visible. L’interventionnisme Chinois pour la question des îles Senkaku (Diaoyu) et en mer de Chine méridionale en atteste. De plus, l’ouverture en 2017 de la base militaire chinoise de Djibouti est le symbole d’un changement de posture stratégique.

#c) L’influence de la diaspora chinoise

La puissance chinoise se manifeste aussi au travers de la diaspora. Elle permet d’exercer une influence sur les voisins mais aussi dans de nombreuses villes mondiales. Petit à petit, la diaspora représente un pourcentage croissant de l’IDE entrant en Chine.

La diaspora chinoise présente au Cambodge est représentative des ambitions chinoises pour les nouvelles routes de la soie et le contrôle du Golfe de Thaïlande. Elle se chiffre en millions de personnes qui ont engagé le pays dans une transformation radicale, notamment à Sihanoukville et à Phnom Penh.

Pour les familles chinoises les plus fortunées, il est aussi courant d’envoyer ses enfants étudier à l’étranger, pour ensuite revenir au pays en vue de l’améliorer. La diaspora chinoise est un important relai de sa puissance.

#d) La place de la Chine dans les pays du Sud

La Chine multiplie les investissements directs dans les pays producteurs pour diversifier ses sources d’approvisionnement et gagner en indépendance. Depuis 2005, les échanges sino-africains ont décuplé. La Chine est le premier pays investisseur en Afrique, notamment dans les anciennes colonies françaises comme l’Algérie.

Les initiatives de Hu Jintao ont aussi développé les relations et les investissements avec les États d’Amérique du Sud, au point de rendre les États dépendants aux financements chinois, comme l’Argentine, l’Équateur et le Venezuela. La Chine a donc développé en quelques décennies à peine un hard power et un soft power considérables.

#3. Les limites de la puissance chinoise

#A. Le revers d’une économie tournée vers l’extérieur

#a) La dépendance aux marchés mondiaux

Cependant, la Chine ayant basé sa croissance sur les exportations est fortement dépendante aux marchés mondiaux et aux ressources énergétiques.

Son excédent de liquidités est considérable. En 2010, il représente déjà 3000 milliards de dollars qu’il faut réinvestir. Cela expose la puissance chinoise à la fluctuation des marchés. L’atelier du monde est exposé aux crises de ses partenaires commerciaux ce qui peut fragiliser sa puissance économique.

#b) Une rapidité mal maîtrisée

La rapidité de la croissance a généré des problèmes de construction majeurs. Certains ponts et immeubles ont présenté de graves défauts de conception et se sont effondrés, mettant en péril les populations. En 2008, le tremblement de terre du Sichuan a fait plus de 80 000 morts notamment dans les écoles dont les bâtiments, fragiles, construits dans la hâte, se sont effondrés. Devant la censure de l’information, l’artiste Ai Weiwei a décidé de dresser une liste des disparus et de l’exposer en tant qu’œuvre d’art.

De même, le train rapide CRH a connu divers accidents mortels, causés par la négligence des autorités en matière de maintenance.

Enfin, la pollution est progressivement devenue une catastrophe en matière de de santé publique, les sols sont lessivés par l’usage massif d’engrais et l’air des grandes métropoles devient irrespirable lors des pics de pollution. Enfin, l’eau n’est potable nulle part : si son traitement est de bonne qualité, les réseaux de canalisations contiennent des métaux lourds.

#B. Le maintien de fortes inégalités

#a) Des fragmentations à plusieurs niveaux

Le socialisme de marché a généré des fragmentations à plusieurs niveaux. L’ouverture a d’abord favorisé les littoraux et a placé l’intérieur de la Chine en retrait.

L’ouverture a aussi favorisé les villes et a généré un retard pour les campagnes.

Enfin, sur le plan de la métropole elle-même, le développement des centres a généré un étalement du périurbain et la création des villes satellites, comme à Shanghai et Canton. Les inégalités socio-spatiales sont allées de pair avec ce développement soutenu.

#b) Inégalités dans la population

Les reformes de Deng, ont aussi renforcé les inégalités. Comme le dit le sinologue Domenach (La Chine m’inquiète), la Chine est devenue une bureau-ploutocratie, où le pouvoir et l’argent n’appartiennent qu’à une toute petite classe de privilégiés. Les individus lambda n’ont pas accès au pouvoir, et la conduite des affaires nécessite des connexions avec le PCC.

Deng souhaitait un « socialisme aux caractéristiques chinoises » qui enrichisse les couches favorisées dans un premier temps, pour ensuite bénéficier à tous, mais les inégalités persistent et s’aggravent, et la corruption n’a pas disparu malgré les campagnes de Xi Jinping visant certains cadres du parti.

Si une certaine classe moyenne émerge, la crise morale semble profonde, celle-ci semble insensible, extrêmement narcissique, obéissante et consumériste ; elle ne souhaite nullement changer les choses, elle jouit de ses avantages aveuglément. Le bilan de l’ouverture se voit fortement nuancé.

#C. Un pouvoir totalitaire

#a) Le maintien du PCC : parti unique

La Chine est resté un pays totalitaire. En effet, depuis 1949 le PCC s’est toujours maintenu au pouvoir, malgré les grandes réformes initiées par Deng Xiaoping, dont on peut dire qu’elles sont un tournant libéral. Le multipartisme, condition de la démocratie, n’existe pas.

L’État et le parti se confondent donc, comme le note le sinologue Jean-Pierre Cabestan. Le parti, qui a en quelque sorte confisqué le pouvoir au peuple, est présent partout, dans toutes les organisations et toutes les entreprises. Il est absolument normal que dans chaque entreprise, il existe des postes réservés aux membres du parti, peu importe leur compétence pour le travail assigné. Ce parti unique est la composante fondamentale du totalitarisme chinois. Il veut contrôler et structurer la vie et la pensée de chaque citoyen et organise l’endoctrinement, la censure, la propagande et la répression de l’opposition.

Depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, on note une volonté du pouvoir de replacer l’idéologie du parti au centre de la vie des chinois. Xi Jinping, qui a progressivement pris tous les pouvoirs et amendé la Constitution pour s’arroger le droit de gouverner à vie, s’est imposé comme un nouvel Empereur et organisé son culte. Le parti, s’il fait la force et l’autorité qui a accompli l’unité, la fortune, la stature et la puissance internationale de la Chine, en fait aussi la fragilité, par sa volonté aveugle de conserver le pouvoir, peu importe les moyens, au mépris de ses propres principes, de son idéologie fondatrice et de la population.

#b) Le contrôle des citoyens

Le parti exerce donc un contrôle total sur la population, notamment par le système du hukou qui hiérarchise les droits de chaque individu.

Il faut ajouter à cela l’instauration dans les années 2000 d’un système de crédit social. Le système est d’abord mis en place en 2006 dans les banques. Puis, les avancées technologiques des caméras aidant, les chinois sont constamment sous surveillance, la reconnaissance faciale est omniprésente dans tous les endroits publics. Ils gagnent ou perdent en crédit selon des critères arbitraires définis par le parti. Critiquer le PCC sur internet, traverser la rue quand le feu est rouge, payer ses factures en retard, font perdre du crédit. À Shenzhen, le visage des piétons indisciplinés est même affiché sur des écrans géants jusqu’au paiement de leur amende.

La méthode de l’humiliation publique de la Révolution Culturelle redevient d’actualité pour servir les objectifs de Xi. Si le citoyen perd trop de crédit, il figure sur une liste noire, il ne peut plus ni prendre l’avion, ni le train. La mince liberté des chinois est donc potentiellement entravée, à moins de se résoudre à respecter des critères de moralité définis par le parti.

#c) La censure et la sophistication de la propagande

Par ailleurs, une censure stricte existe depuis 1949. Les citoyens n’ont jamais eu accès à l’information brute, qui ne soit pas passée dans un filtre.

La glorification du parti est d’abord dans tous les organes de presse, qui doivent impérativement, s’ils veulent continuer d’exister, tirer leurs informations de l’agence de presse nationale Xinhua. Avec l’arrivée d’internet, la censure s’étend à la toile. Le Great Firewall représente une « grande muraille technologique » empêchant l’accès à de nombreux sites, moteurs de recherche et réseaux sociaux. Le citoyen lambda n’a donc pas accès au véritable réseau. En 2010, ce sont environ deux millions de travailleurs, ouvriers de cette censure, qui suppriment l’accès aux pages dont les informations sont jugées trop sensibles par le parti unique.

On peut y ajouter une armée de Wumao, payés un demi yuan par commentaire élogieux publié sur internet. Les progrès récents de l’intelligence artificielle ont permis à la Chine d’automatiser la censure et la propagande, effectuée par des machines.

La propagande, omniprésente dans les rues, les entreprises et les médias devient elle aussi de plus en plus sophistiquée. Si de nombreux livres qui glorifient les actions du PCC paraissent dans plusieurs langues, des sites et des comptes Twitter et Youtube, réseaux inaccessibles en Chine, publient aussi dans plusieurs langues des contenus favorables à l’action du PCC et s’attachent à masquer ou réfuter les critiques faites à l’encontre de la Chine, notamment au niveau des droits de l’homme. Pour le parti, il s’agit maintenant de convaincre le monde entier de sa légitimité, en utilisant les outils des adversaires, en employant le sharp power.

#d) La répression des dissidents

L’issue des manifestations de la place Tian’anmen à Pékin, le 4 juin 1989, montre encore l’ambiguïté de la puissance chinoise, qui n’hésite pas à envoyer l’armée pour réprimer dans le sang des étudiants pacifistes qui appellent à poursuivre les réformes et l’ouverture politique.

La persécution des militants pour les droits de l’homme n’a pas cessé. Ils sont harcelés et emprisonnés même s’ils sont largement soutenus par la communauté internationale, comme le fut Liu Xiaobo, mort en captivité. Enfin, la découverte des camps de rééducation dans le Xinjiang, où près de 2 millions de Ouïghours seraient emprisonnés sous le prétexte de tentation séparatiste, questionne sur la fragilité du modèle chinois, un modèle qui pratique le nettoyage ethnique.

#Conclusion

La Chine est donc une puissance internationale qui s’est construite par étapes, pour devenir la première puissance émergente du monde et bientôt la première puissance économique du monde. Sa puissance s’est d’abord affirmée sur le plan international, par l’amitié sino-soviétique et la volonté d’être un modèle pour le Tiers-Monde.

L’évolution politique intérieure marquée par le maoïsme jusqu’en 1976, montre que Mao Zedong a confisqué le pouvoir à son peuple, au profit d’un parti unique qui met en place un totalitarisme. Les réformes et le socialisme de marché de Deng Xiaoping à partir de 1978, si elles permettent à la Chine de devenir une puissance économique de premier plan, levier pour une nouvelle stature internationale, n’ont pas assoupli l’autorité du parti, ni restitué le pouvoir au peuple. En effet, le parti continue de maintenir les inégalités, de censurer, de surveiller le peuple, persécuter l’opposition et réprimer dans le sang si cela est jugé nécessaire.

Pour une puissance rivalisant aisément avec les États-Unis, il s’agit d’étendre son influence dans le monde. À coups de milliards de dollars, le modèle chinois cherche à séduire les populations. Sont-elles prêtes à accepter un modèle fondé sur l’autoritarisme ? Peut-être, et c’est inquiétant, mais probablement pas encore prêtes à accepter un modèle chinois.